Lui, je le connais. Il a été mon collègue à la station de Belfort.
La dernière fois que je l'avais vu, il faisait pitié. A peine 52 ans, mais déjà tourné vers un avenir pas spécialement de ceux dont on rêve.
On a avait vite sympathisé, il m'avait raconté son histoire.
Marié à une épouse qui au fil des années le bouffait à petit feu, il n'attendait plus rien de la vie, même pas - comme l'avait chanté Dutronc voilà 47 ans - "son chèque de fin de mois".
Il n'avait qu'un seul fils, qui s'était "exilé"à Toulouse, et qu'il ne voyait que rarement, bien que les deux se comprenaient bien.
Quand, en septembre, il était - avec Bobonne - venu la voir pour son anniversaire, son fils n'en revenait pas de le voir dans un pareil état. Il se laissait complètement aller, et ne semblait désormais vivre que par le boulot. Et il redoutait le moment fatal où son père devrait prendre sa retraite, n'ayant alors plus de "dérivatif".
Par chance, le Président Sarkozy lui avait donné un coup de pouce en repoussant de deux ans l'inévitable face-à face avec sa chère et tendre...
Sentimental à outrance, il avait, 15 ans auparavant, vécu ce qu'il croyait être une belle histoire avec une collègue. De cette belle histoire, terminée au bout de 4 ans, il n'avait retenu que le meilleur, mais avait complètement zappé certains épisodes peu glorieux. Comme la fois où, lui étant en congé avec Bobonne et son fils, elle s'était laissée draguer par un gros rustaud lors d'un bal le 15 août. Elle l'avait invité aux chandelles (!) mais le mec s'était pointé avec ... sa fiancée ! La tronche de la jeune femme (qui était beaucoup plus jeune que mon collègue) qui n'avait pas alors hésité à appeler Robert au-secours !!! Robert, couiilon qu'il était avait bien sûr pardonné...
Enfin bref, depuis des années il restait prisonnier d'une histoire à laquelle il était vraiment le seul à croire, et ça tournait à la névrose obsessionnelle.
Lui, qui aurait pu tourner un scénario pour Disney, ne croyait plus du tout en l'amour. Et donc plus en la vie. Dès qu'il voyait des couples se former, il ricanait. Quand il apercevait un mariage - avec les coups de Klaxon ça ne passe pas inaperçu... - il disait tout haut "le pauvre homme"....
Alors ils se réfugiait sur la Toile. Et comme il n'était pas trop maladroit, il s'inscrivit sur un site de belote.
Là il jouait des heures et des heures, tissant parfois même des liens avec certains joueurs.
Et certaines joueuses !
Et c'est ainsi que plusieurs fois il eut pour partenaire Murielle, une belle brune aux yeux bleus d'après la photo.
Laquelle, à un moment donné, alors qu'ils venaient de mettre capot l'équipe d'en face, lui lança "tu joues comme un Dieu...."
C'était le 17 octobre.
Robert fut à la fois flatté et touché. Première fois qu'on lui faisait un compliment depuis, depuis..... c'était tellement loin qu'il ne s'en rappelait plus.
Et c'est alors qu'il essaya d'en savoir plus sur Murielle. Il la demanda en amie facebook et il apprit que la jeune femme (elle avait 47 ans) vivait à L'ile de Noirmoutier.
Pas vraiment la banlieue de Belfort...
Cependant ils sympathisèrent de plus en plus, elle lui racontant son existence qui n'était pas non plus des plus joyeuses.
Au fil des jours, il sentait que le "trip" qu'il avait depuis des années était en train de disparaître, et que de nouveau il commençait à faire des projets. Cela en même temps qu'il ressentait quelque chose pour Murielle.
Laquelle n'était pas insensible à Robert...
A leur grande stupeur, ils voyaient que leur relation tendait de plus en plus vers une attirance réciproque, et ils finirent par se rendre à l'évidence : ils s'aimaient.
Seulement lui à Belfort, elle dans une Ile, pas le meilleur scénario....
Alors il prit le taureau par les cornes, et lui annonça sa venue en terre Vendéenne pour le mois d'avril.
Quand ils se virent pour la première fois, ce fut un beau coup de foudre. Robert m'en parlera longtemps de cette sensation-là, me disant "Ah Patrick, tu ne peux vraiment pas t'imaginer...."
Moi effectivement j'avais du mal à le croire. Déjà se rencontrer de cette façon, OK. Moi je jouais bien à Song-Pop ! Mais de là à tomber amoureux fou, et passer - ce que Robert me confiera - une semaine digne des contes de fées, je restais sceptique, moi qui croyais plus aux chiffres qu'autre chose.
Ils devaient se revoir à l'automne et se téléphonaient tous les soirs, alors que leurs "chers et tendres " ronflaient comme des sonneurs.
Je ne réalisai vraiment la force de leur sentiment quand Robert m'apprit que, depuis leur déclaration, et à cause de la séparation, eux qui n'étaient pas spécialement enveloppés, avaient perdu l'appétit et surtout 26 kilos à eux deux....
J'espère de tout coeur qu'ils se reverront et qu'ils se remplumeront...
C'est trop beau comme histoire !
Je vous embrasse.